Marie Guillemot, propriétaire de l’atelier de design floral et végétal MG, nous ouvre les portes de son atelier situé au 6 rue de l’Université à Reims. Pour la Maison Abelé 1757, l’artisan revient sur son parcours, cette passion florale qui l’anime depuis des années, sa démarche artistique, sa relation au temps et pleins d’autres sujets.
Comment avez-vous débuté votre aventure dans la création florale ?
Tout a débuté il y a une quinzaine d’années lorsque j’habitais encore à Versailles. Régulièrement, je prenais des cours d’art floral dans une association d’horticulture. Et j’adorais ça ! À tel point que j’ai choisi de faire une reconversion professionnelle en passant un CAP d’un an à Jouy-en-Josas (78). J’alternais mes semaines entre cours et apprentissage en entreprise.
Si l’on devait choisir un qualificatif pour parler de votre métier, quel serait le terme plus adapté : artiste, artisan ou metteur·e en scène ?
Artisan et artiste, sûrement. Metteur-en-scène, d’une certaine façon. Nous ne cherchons pas une mise en scène époustouflante. C’est même tout l’inverse. Il s’agit davantage d’un instant poétique. Que le bouquet puisse raconter quelque chose à la personne qui croise son chemin. Que vous puissiez le remarquer en entrant dans le hall d’un grand hôtel, mais également lorsque vous en ressortez. Vous devez être touché à chaque fois que vous passez devant. Qu’il vous parle plus qu’il ne vous impressionne. C’est vraiment cela que nous recherchons à l’atelier.
Pourriez-vous expliquer votre démarche artistique lorsque vous fleurissez un lieu ?
Avant de fleurir, il est primordial de s’imprégner du lieu et de ses volumes. Il faut réussir à occuper l’espace sans l’étouffer. Vient ensuite l’ambiance générale, l’ADN du lieu. Enfin, nous devons garder en tête la raison de la commande : les personnes qui viennent sur place.
Le message est différent entre un bouquet pour un séminaire et l’accueil d’un VIP dans un restaurant. L’histoire que l’on raconte doit être différente. Le message doit être capté plus rapidement et son impact doit être plus fort. Tout est question de contexte.
Comment s’opère votre processus créatif dans vos réalisations ?
Pour de gros projets, il m’arrive parfois de coucher mes idées sur le papier. Mais cela reste assez rare. Très souvent, j’ai tout en tête. Le plus dur reste de trouver sa ligne. Lorsque vous y parvenez, il y a une petite jouissance. On a la sensation que l’on s’envole et que le bouquet va être très fluide à réaliser. C’est à ce moment précis que l’on est complètement dévié par l’intelligence de la main. Ce sont elles qui vont créer l’idée que l’on avait en tête. Elles vont se l’approprier. C’est pour cette raison que notre métier est avant tout artisanal. Tout est très intuitif. Les mains vont parler à notre place et nous emmener vers autre chose.
Comment le temps s’intègre-t-il dans vos créations ?
Le temps nous guide dans le choix des fleurs. Il doit nous permettre de savoir à quel moment elles doivent être à leur apogée. Il faut prendre le temps de les laisser s’ouvrir, d’imaginer leur devenir.
Un bouquet vit après nous. Une fois dans la pièce, il continue d’évoluer, de faire sa vie. Si vous prenez le temps de les regarder, vous constaterez que certaines vont aller chercher la lumière. D’autres vont se détourner du vase… Ce n’est pas de la décoration figée à un instant T. Le bouquet est évolutif. Il a besoin du temps. Comme nous, lorsque nous réalisons nos bouquets. Nous devons nous immerger et imaginer comment le temps va façonner à son tour notre création.
Vos créations viennent habiller de grands hôtels, palaces et restaurants étoilés français. Comment vos créations s’inscrivent-elles dans l’art de la table ?
Un bouquet, c’est déjà l’art de recevoir. Que vous soyez ou non dans la pièce, il est toujours là pour accueillir le convive. Lorsque vous le mettez sur la table d’un restaurant, il s’intègre à son tour dans l’art de la table. Un art qui évolue avec les époques, du style de bouquet en passant par le type de vaisselle utilisée ou la décoration du lieu. Nous devons à tout prix éviter de « voler la vedette », qu’il s’agisse des plats gastronomiques des chefs ou des arômes des vins. Jamais vous ne verrez une fleur trop odorante sur une table au risque de gêner un nez un peu fin. Pour autant, un bouquet est plus qu’un simple objet de décoration. Il doit avoir du sens pour que tous ces éléments puissent se répondre, se mettre en valeur ensemble et s’intégrer parfaitement.
Quelles sont vos sources d’inspiration ?
La peinture occupe une place importante. Il y a quinze jours, j’ai réalisé un centre de table pour une commande. Il s’agissait de reconstituer le décor de table d’un mariage princier qui avait eu lieu en 1869. Malheureusement, aucune photo de la salle de réception ou de la table en question. Rien pour prendre appui. Nous avons dû nous replonger dans les peintures de nature morte pour nous imprégner des styles de bouquets de l’époque. Dans une dimension plus contemporaine, j’aime énormément la mode et tout particulièrement la Haute couture. Les drapés, les coupes des vêtements… Tout est très inspirant. Même si cela n’a pas grand-chose à voir avec la création florale (rire).
Pouvez-vous nous parler de la symbolique des fleurs dans vos créations ?
Vous ne me verrez jamais dire « Les roses, c’est si… » ou « il faut un nombre pair de… ». Cette symbolique me parle peu. À l’inverse, le regard porté sur un bouquet est plus important pour moi. Je m’arrête quand il est beau.
Il y a aussi quelque chose que je regarde toujours : la poésie. Notre patte à l’atelier, c’est de donner la sensation d’un « retour de promenade ». Une déambulation dans la nature à cueillir des fleurs. Par exemple, j’aime beaucoup mettre des petites mures, des baies ou des graminées pour donner un côté gourmand sur les tables. Cette ambiance « jardin » ne veut pas dire « champêtre » pour autant. C’est plutôt une « brasée de jardin ».
Comment travaillez-vous les différents stades de vie des fleurs ?
Mes bouquets sont travaillés comme dans la nature. En hauteur, vous trouverez les fleurs en bouton. À l’inverse, les plus épanouies se trouveront plus au centre du bouquet. On peut également faire le parallèle avec les stades de maturité du vin. Certaines vont atteindre leur apogée avant de redescendre doucement en aromatique et en tenue. C’est très joli de les voir évoluer, très évocateur.
Comment réussissez-vous à transmettre votre passion autour de vous et à votre équipe ?
À la base, nous avons une équipe de passionnées. C’est un plaisir incroyable de travailler ensemble. Sans se dire un mot, une émulation créative se crée. On dégage une énergie créative très stimulante. Quelquefois, on se coupe la parole pour dire « Ah, mais j’ai pensé à… », « Mais moi aussi, je voulais… ! ». À vous donner des frissons (rire).
Nous cherchons aussi à transmettre aux apprenties un état d’esprit « regardez et repérez ». Qu’elles apprennent à ouvrir le regard sur la nature et le monde. Lorsque je me déplace, j’ai toujours un couteau de fleuristes et un sécateur dans mon sac à main et je m’arrête partout ! Je suis tellement passionnée de mon métier que mes déplacements à l’étranger débutent toujours par la visite des fleuristes (rire).
Texte – Geoffrey Chateau | Photo – Julien Gérard-Maizières