Clef de voûte de la Maison Abelé 1757, les caves accompagnent les vins dès leur création dans une longue maturation. Des mois, des années, des décennies indispensables pour que la magie opère. Construit il y a plus de 150 ans, ce trésor inestimable se cache dans les profondeurs de la butte Saint-Nicaise, à plus de 20 mètres de profondeur. Un lieu idéal pour la conservation et le vieillissement de grands vins de Champagne. Visite privée en compagnie d’Étienne Éteneau, Chef de Caves de la Maison Abelé 1757.
Pouvez-vous nous parler de l’histoire de ce lieu et nous expliquer en quoi il est si unique pour la Maison Abelé 1757 ?
Nous sommes dans les caves du Champagne Abelé 1757, au 50 rue de Sillery à Reims. Ce site, dédié à l’élaboration de grands vins de Champagne, a été construit entre 1870 et 1872, au pied de la Butte Saint-Nicaise, dans la craie pure.
C’est un lieu unique et très particulier que la Maison occupe depuis près d’un siècle. C’est dans ce dédale de galeries de près de deux kilomètres de long que nos champagnes sont conservés. Une vinothèque qui réunit les caractéristiques parfaites : une obscurité totale, une humidité constante et une température douce comprise entre 11 et 13 degrés maximum toute l’année.
Ces caves façonnent véritablement nos champagnes tout au long de la prise de mousse et de la maturation. Et ces conditions idéales pour le style Abelé 1757, participent grandement à la finesse de nos cuvées.
La Maison Abelé 1757 revendique le fait de « Prendre le temps ». Pouvez-vous nous en dire plus ?
Pour la Maison Abelé 1757, il s’agit de prendre le temps de créer et de composer des champagnes à pleine maturité. Les premières années délivrent souvent des arômes de jeunesse, voire secondaires, avec des assemblages qui ne sont pas encore tout à fait au maximum de leurs potentiels.
Cette philosophie s’applique au niveau œnologique. Nous faisons le choix d’attendre cette pleine maturité, cet équilibre entre finalement, la maturité et la jeunesse. Ce fil tendu, nous le trouvons dans nos champagnes après 3 à 4 ans de vieillissement pour le Brut et le Blanc de Blancs.
Le temps, nous le prenons également tout au long du processus de vinification. Il faut nécessairement se mettre dans les meilleures conditions pour créer de bons champagnes : le temps des vendanges qui nous est dicté par la Nature. Le temps des vinifications avec des fermentations assez maîtrisées et contrôlées pour avoir la meilleure expression du Chardonnay, du Pinot noir et du Meunier.
C’est également le temps du contrôle avec la prise de mousse qui s’opère entre 11 et 12°C. Une température qui permet une prise de mousse assez lente, régulière et bénéfique pour la finesse de la bulle.
Comment définiriez-vous le style de la Maison Abelé 1757 ?
Le style des vins Abelé 1757, c’est en premier lieu les cépages. Nos approvisionnements en raisins se font majoritairement en Chardonnay de la Côte des Blancs, de la Montagne de Reims, du Sézannais et du Vitryat. Ils viennent en contribution à l’ensemble des assemblages, en dehors de Sourire de Reims Rosé qui est un 100 % Pinot Noir. Un cépage qui confère à nos vins de Champagne toute l’élégance, la finesse, la fraîcheur et le fruité qu’on peut attendre.
Le deuxième point caractéristique de nos champagnes réside dans la finesse de la bulle. Une précision rendue possible par plusieurs facteurs. D’abord, par les caves qui nous entourent. Puis un temps nécessaire à la maturité des vins. Enfin, la qualité du pressurage de nos raisins et de leur vinification. Tout cela joue véritablement dans la finesse de la bulle.
La troisième et dernière caractéristique du style Abelé 1757 est représentée par une fin de bouche assez texturée et longue. Les dégustateurs évoquent souvent des notes de salinité et d’amertume, qui apportent à nos cuvées les qualités nécessaires pour rejoindre les plus beaux plats et mets gastronomiques. Tous nos champagnes sont accompagnés d’un dosage ajusté entre six et huit grammes par litre selon les cuvées. Cela permet de faire ressortir notre collection de terroirs, mais surtout de donner vie, une âme à nos champagnes.
Pourriez-vous définir le style unique de la cuvée Brut et la philosophie d’Abelé 1757 lorsqu’il s’agit de créer une nouvelle édition ?
Le Brut est une cuvée assez complexe à créer au moment de l’assemblage. Pour un Chef de caves, c’est l’équation la plus difficile avec beaucoup d’inconnues et de paramètres entre le travail des trois cépages (ndlr : Chardonnay – Pinot Noir – Meunier) et des vins de réserve. Mais c’est effectivement la cuvée qui porte l’image de la Maison auprès de notre clientèle que ce soit en restauration, chez les cavistes ou en hôtellerie.
C’est également une cuvée qui selon moi, est un marqueur du temps. Un métronome de la Champagne et de la Maison. Chaque année, le Chef de caves doit créer une nouvelle édition de son Brut sans année en intégrant la complexité de la vendange. Celle de 2021 était un peu compliquée dans certaines régions, mais néanmoins fantastique pour les blancs et pour certains pinot noir.
Malgré la générosité de la Nature, cette vendange fut moins importante en quantité que nous pouvions l’espérer. Cela va nous obliger à composer avec un petit peu plus de vin de réserve. Ce paramètre très conjoncturel de l’année 2021 évolue chaque année. Pour le Chef de caves, c’est un véritable défi de reproduire ce style et cette qualité, voire de l’augmenter légèrement au fil des ans en travaillant les approvisionnements et certains assemblages plus précisément. Tel un métronome qui bat la mesure d’année en année, il nous faut conserver ce style et cette grande qualité si caractéristique de nos cuvées.
Pour reprendre une seconde métaphore, le Brut de la Maison Abelé 1757 est un peu à l’image de la Cathédrale. Depuis près de huit siècles, ce magnifique édifice a toujours la même splendeur, cette même beauté que les gens admirent et visitent. Autour de lui, tout évolue : l’architecture, les bâtiments, les plans d’urbanisme… mais la Cathédrale Notre-Dame de Reims est toujours là.
Et c’est un peu cette image de maître du temps, de cathédrale intemporelle que le Brut représente dans la gamme d’une Maison. Fidèle à lui-même, il peut évoluer légèrement en fonction des périodes et du goût de notre clientèle, mais finalement très peu.
Quels seraient vos conseils pour associer la cuvée Brut de la Maison ?
C’est d’abord une cuvée qui se déguste dans un moment de convivialité, entre amis ou en famille. Le travail des vins de liqueur et du dosage permet au Brut d’accompagner à merveille de l’apéritif, mais aussi un plateau de fromages ou encore certains poissons fins.
En tant que Chef de Caves de la Maison, Quel est votre parcours ?
J’ai un diplôme d’œnologie et d’ingénieur agronome. Ce double cursus m’a permis d’avoir des clés de compréhension globale, de la partie viticole jusqu’à la partie œnologique, en passant par le processus d’élaboration des vins.
Depuis une dizaine d’années, mon parcours est dédié à la bulle. En entrant dans la vie active, j’ai tout de suite souhaité venir travailler en Champagne. C’est une région qui m’a toujours intrigué par son prestige et son aura : la qualité de ses vins, son histoire, son patrimoine à la fois géologique et ses terroirs qu’on ne trouve nulle part ailleurs.
Mais c’est aussi cette histoire humaine avec la construction et la création de magnifiques structures familiales, de Maisons de négoce et de coopératives qui viennent enrichir le patrimoine immatériel de la Champagne avec des marques de renommée mondiale.
En tant que jeune œnologue, cela m’a tout de suite donné envie de découvrir, d’apprendre plus de cette fabuleuse région. Mes premiers pas en terres champenoises, je les ai faits en 2010 à l’interprofession pour travailler la notion de terroir, le fonctionnement des sols au niveau de l’eau. Cette expérience m’a permis de rencontrer beaucoup de vignerons et d’acquérir rapidement une très bonne connaissance de la région.
Ces années d’apprentissage m’ont également permis de voyager en Australie et en Californie. Un parcours enrichissant aux côtés d’une grande marque de sparkling dont l’approche était complètement différente : l’approche des terroirs, le travail de la vigne, des vins ou de la commercialisation… La Napa Valley propose une offre œnotouristique étonnante. Là-bas, le vin est une grande fête qui permet de recevoir au cœur même du vignoble. Fort heureusement, cette dynamique est de plus en plus présente en Champagne. Nous avons également beaucoup de choses à montrer.
Comment respectez-vous le style de la Maison ?
Lorsque l’on arrive dans une Maison de Champagne séculaire comme la Maison Abelé 1757, le plus grand travail consiste à s’imprégner de plus de 250 ans d’histoire. De comprendre ce qui caractérise à la fois la Maison, les champagnes et les Hommes. Tout ce qui est venu construire cette fabuleuse aventure afin d’être le plus fidèle et le plus pertinent possible dans l’exercice de la fonction de Chef de caves.
Réussir à perpétuer le style de la Maison nécessite beaucoup de dégustations, voire énormément de dégustations. Et c’est un Chef de caves qui vous dit ça [rire]. Ces très nombreuses dégustations sont une plongée dans l’Histoire. Nous avons la chance d’avoir une fabuleuse vinothèque dans un caveau bien particulier, avec des millésimes qui remontent jusqu’aux années 20.
Cette magnifique vinothèque constitue l’Histoire et le trésor de la Maison. Son rôle est de faire vivre cet héritage et de le partager aux prochaines générations en parvenant à recréer chaque année des assemblages fidèles. Un exercice technique et pointu rendu possible par un apprentissage du style de la Maison sur un temps très long. Malgré des décennies de vieillissement, il ressort toujours une magnifique fraîcheur sur les millésimes. Une prouesse que l’on attribue à plusieurs facteurs : la dominante du Chardonnay dans les assemblages et les excellentes conditions de conservation.
Une fois que l’on a compris et apprivoisé ce style, il faut réussir à le reproduire. Une étape qui se fait en dehors des caves avec une trentaine de familles de vignerons. Des liens humains très forts que nous entretenons depuis les années 80. Ce sont eux qui, par leur travail de la vigne et leurs choix techniques, vont façonner nos champagnes.
Cette longévité est passionnante, autant pour nous que pour eux. Elle nous permet de travailler dans la continuité et de réussir à progresser en continu en termes de qualité des raisins et d’assemblage. Pour résumer, mon rôle est de mettre en harmonie cette matière première pour perpétuer le style de la Maison.
Quel est votre rapport au Temps ?
Mon rapport au Temps est, comme tout à chacun, assez complexe. je le conçois comme un temps long, la patience, le souci de bien faire, de prendre le temps de la bonne décision pour les vins, pour la Maison.
D’un point de vue général, celui-ci peut varier dans l’instant, dans l’heure, dans la journée, dans l’année… Certaines choses doivent être faites dans l’urgence, d’autres demande le temps de la réflexion.
Mais personnellement, je conçois mon rapport au temps de manière assez fort en termes d’héritage et d’histoire. J’aime comprendre le passé pour mieux travailler au présent et anticiper l’avenir. Je me nourris de tout ce que je peux lire, tout ce que je peux trouver sur l’histoire de la Maison Abelé 1757 mais également sur l’histoire de la Champagne, pour vraiment parler de notre vin et ainsi prendre du recul.
Notre action en tant qu’individu, que l’on soit ouvrier dans les vignes, le Chef de caves ou sur les marchés à commercialiser les bouteilles… Nous avons une action qui, remise sur un temps à l’échelle de la Maison Abelé 1757, est presque petite.
C’est pour cette raison qu’il faut la rendre la plus intelligente et réfléchie possible. Pour que le travail que nous aurons fait pendant 10, 20, 30 ans, puisse perdurer. Que les magnifiques millésimes puissent vivre sur un temps encore plus long que le travail que nous aurons pu fournir et donner à cette Maison de Champagne.
Texte – Geoffrey Chateau | Photo – Julien Gérard-Maizières