Lorsqu’ils créent Sydonios en 2017, Antoine Schvartz et Baptiste Larbre se donnent pour mission la sauvegarde d’un patrimoine ancien et inestimable : la création de verres soufflés bouche dans la pure tradition des maîtres-verriers. Une vision qui s’incarne aujourd’hui à la perfection dans une collection de verres dont la finesse et l’équilibre sont les maîtres mots. Pour la Maison Abelé 1757, Antoine Schvartz revient sur ce savoir-faire artisanal désormais inscrit au patrimoine immatériel de la France.
Comment est né le concept de Sydonios ?
Avec mon associé et ami d’enfance Baptiste Larbre, nous avons toujours eu l’envie d’entreprendre. Avant de lancer Sydonios, j’ai eu la chance d’exercer le métier de courtier en vins dans la région de Bordeaux pendant quatre ans.
Ce métier vous met en contact permanent avec les propriétés viticoles les plus prestigieuses. Au fur et à mesure, je voyais une demande pour des verres fins, légers et haut de gamme. Mais toutes les marques de verre qui existaient sur le marché n’arrivaient pas à attaquer celui des propriétés bordelaises.
Sydonios est né de ce manque en se disant simplement : « Si nous arrivons à faire des verres fins et précis en termes de dégustation, alors nous arriverons à monter une entreprise viable ».
Pouvez-nous nous expliquer ce qui constitue l’ADN de Sydonios ?
L’ADN de Sydonios se compose de deux éléments-clés, à commencer par la précision. Pendant plus d’un an, nous avons mené une étude scientifique avec plus d’une centaine de professionnels du monde du grand vin. Cette recherche a pris beaucoup de temps et d’énergie, surtout lorsque l’on crée une entreprise en partant de zéro.
Pour s’assurer d’un protocole de recherches solide, AgroSup Dijon nous a accompagné. Sept verres ont été dessinés et testés avec six vins volontairement contrastés sur le plan sensoriel. À l’issue de l’étude, deux verres ont été sélectionnés pour la qualité de la dégustation et, in fine, commercialisés. L’adéquation entre le nez et la bouche est pour nous un élément important.
Nous sommes également très attentifs à la précision dans la production. La verrerie main amène inévitablement des disparités de formes inhérentes à cette technique artisanale. Pour nous assurer une grande précision, nous avons mis en place un contrôle qualité unitaire. Nos verres respectent un cahier des charges, le plus stricte possible. Qu’il s’agisse de disparités de forme sur les verres ou le packaging, aucun défaut n’est accepté. C’est exigence fait toute la différence.
Le deuxième élément repose sur notre volonté de produire le plus localement possible. Bien évidemment, créer une marque de verre aujourd’hui nécessite d’aller chercher le savoir-faire où il est. Et pour des verres de qualité soufflé bouche, seule la Bohème (ndlr : République tchèque), région la plus proche, dispose encore du savoir-faire.
Pour tout le reste, du packaging au contrôle qualité, tout est réalisé en France. C’est un élément important qui nous amènera à très court terme à réaliser notre production dans l’Hexagone. Rapatrier le savoir-faire en France est obligatoire pour notre vision d’entreprise.
Comment les différences de formes des verres Sydonios vont-elle influencer la dégustation du vin ?
L’étude que nous avons réalisée en amont, se base sur la lecture de tous les papiers scientifiques qui traitent de l’impact du verre sur la dégustation du vin. Il en ressort que l’élément principal est le ratio entre la partie la plus large de votre verre et la partie la plus serrée, qui se retrouve au buvant.
Lors de nos recherches, nous avons testé plusieurs ratios. Une fois les calculs posés, c’est au verrier de trouver le ratio qui va permettre la plus grande précision en termes de dégustation. Évidemment, nous n’avons pas la prétention d’être le meilleur verre pour tous les vins. Parfois, le verre d’un confrère va mieux matcher sur certains terroirs.
La création d’un verre à vin soufflé bouche répond à des étapes bien précises avant de prendre vie. Entre l’idée, les recherches et la conception, combien de temps s’écoule pour une création ?
En 2017, nous sommes partis d’une feuille vierge. Nous avons livré nos premiers verres à des propriétés très prestigieuses en mars 2018. Soit un peu plus d’un an entre les dessins et la première livraison.
Sur le moment, nous avons trouvé ce temps très long. En tant que porteurs de projet, vous imaginez pouvoir tout faire en deux mois. Mais très rapidement, vous vous heurtez à de nombreuses contraintes : industrielles, production, qualité, découverte de marché, etc. Avec le recul, nous avons été plutôt réactifs. Avec la demande actuelle en verres soufflés bouche, le temps entre la création et la mise en marché est plutôt de deux ans.
Lors de la création de vos verres, quelle a été votre approche avec les verriers ? Pouvez-vous nous expliquer en quoi chaque verre Sydonios est unique ?
Au lancement, nous avions deux envies : la finesse et l’équilibre. Pour la première, nous avions nos recherches et les dessins techniques. Pour la seconde, il s’agissait de contrebalancer l’équilibre du verre grâce au pied du verre. Il est possible de travailler des diamètres plus ou moins larges afin d’apporter un poids plus ou moins important. Vous pouvez également jouer sur l’épaisseur, qui va à son tour apporter des nuances de poids.
Pour un seul verre, nous avons pu tester jusqu’à 16 prototypes afin de s’assurer d’un équilibre le plus agréable possible à la dégustation. Cette dimension a été un travail important et explique en quoi les verres Sydonios sont différents.
Quelles sont les compétences inhérentes au métier de souffleur verrier ?
Notre technique de production est très particulière. On parle d’une « jambe tirée ». Pour arriver à réaliser cette technique et obtenir une grande légèreté, tout en respectant la même forme et une cadence de production, 15 à 20 années d’expérience sont nécessaires. C’est un savoir-faire qui demande à pratiquer très tôt.
Malheureusement, ce savoir-faire n’existe pas en France et tend à disparaître dans les autres pays. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous rapatrions notre site de production en France à partir d’octobre 2020.
En quoi votre façon de concevoir les verres se rapproche des méthodes d’élaboration d’un grand vin de champagne ?
Nous avons rencontré plus d’une cinquantaine de vignerons de chaque appellation. Des vignerons que l’on pourrait qualifier de « stars », même si je ne suis pas à l’aise avec ce terme. Ils ont toujours cherché leur verre et ils sont nombreux à en avoir testé sans jamais trouver le bon.
En alliant notre démarche scientifique à leur démarche pratique, nous avons pu dessiner nos premiers verres. Allier l’historique des vignerons à notre dimension scientifique et académique a fait toute la différence. Cela n’avait jamais été fait avant dans le monde verrier. Évidemment, aucune recherche n’est parfaite, des biais existent, mais nous avons trouvé cette approche intéressante.
Pour nous assurer d’obtenir des résultats précis, nous avons testé nos verres sur des vins les plus représentatifs possible des appellations françaises. Pour bien faire, nous aurions quasiment pu créer un verre par vigneron, par appellation, voire par rang de vigne, mais cela est bien évidemment impossible. Nous avons été obligés de nous limiter à six vins et de rationaliser l’approche pour avoir une gamme cohérente et précise.
Au final, le triptyque « recherche scientifique – expérience des vignerons – dessin technique » nous a permis d’imaginer une dégustation avec plus de 100 professionnels du monde du vin : vigneron, œnologue, sommelier, courtier en vin, tonnelier… Nous avons cherché à être le plus représentatif possible. En procédant de la sorte, nous avons rencontré un certain succès auprès des propriétés viticoles.
Comment Sydonios s’intègre dans le savoir-faire séculaire du verre soufflé bouche ?
Durant les années 90, les verreries françaises ont fait le choix d’intégrer un marché haut de gamme en ajoutant beaucoup de valeur ajoutée à leurs pièces. Pour citer les plus connues, vous trouverez Baccarat, Lalique ou Saint-Louis.
Pour y parvenir, elles ont fait le choix de moderniser leur production en délaissant certains savoir-faire traditionnels tout en conservant une dimension artisanale. C’est un choix qui a été payant. Celles qui ne l’ont pas fait, n’existent plus aujourd’hui en France.
À l’inverse, les verreries un peu plus à l’Est de l’Europe ont conservé une méthode 100 % artisanale. C’est exactement ce que nous cherchons à réintroduire en France. Nous sommes persuadés qu’à vouloir chercher des petits gains de productivité, on perd un savoir-faire inestimable sur le long terme.
Dès le début du projet, notre ambition était de produire des verres soufflés bouche comme on le faisait il y a 30 ans dans l’hexagone. La nouvelle génération d’entrepreneurs a envie de produire local. Lors de nos recherches, nous avons visité toutes les verreries possibles et inimaginables en France et aucune n’était capable de produire la qualité de verre recherchée. Tout simplement parce que le savoir-faire n’était plus là. Nous avons mis beaucoup de temps à nous en rendre compte.
Pourquoi faire le choix du soufflé bouche plutôt qu’une version plus automatisée et industrielle ?
Je ne devrais peut-être pas le dire, mais certains fabricants produisent des verres mécaniques d’une grande finesse. C’est assez impressionnant et cela augure une amélioration progressive de ces procédés qui pourraient atteindre la qualité du soufflé bouche. Personnellement, posséder un savoir-faire artisanal est très important. Si vous ne savez pas produire des verres à la main, les machines que vous utiliserez pour produire mécaniquement n’arriveront jamais à la même finesse.Dé
fendre l’artisanat fait partie de l’ADN de Sydonios. Nous avons à cœur de conserver ce savoir-faire. Il suffit de voir la satisfaction des verriers à la fin d’une journée pour s’en convaincre. Réussir à réaliser 300 pièces parfaites vous procure une grande satisfaction, c’est dur à expliquer… À la fin de la journée, ils sont juste heureux.
Autrefois, les verriers étaient peu considérés. Aujourd’hui, nous avons la chance de pouvoir valoriser ces métiers d’art. La dimension humaine est centrale et permet une liberté dans la création qui est énorme. In fine, c’est une forme d’indépendance.
Pour parvenir à une grande finesse avec des machines automatisées, les contraintes techniques sur le dessin seront énormes. Au final, votre dessin va dépendre davantage des contraintes techniques que de la dégustation. Avec Sydonios, nous cherchons à retrouver cette dimension artisanale qui permet une liberté de création. La contrainte de dégustation doit rester la clé de voûte dans le dessin de nos verres.
Maisons de Champagne, vignerons, domaines, chefs étoilés ou sommeliers, quels sont vos rapports avec ces professionnels ?
Cela dépend des appellations, des rapports plus ou moins directs avec nos clients, ou de certaines professions. Certains nous disent « il faudrait que le verre soit comme-ci, comme ça ». Malheureusement, ils ne se rendent pas compte de tout le travail que cela nécessiterait derrière. Malgré notre dimension artisanale, produire des verres soufflés bouche reste de l’artisanat à volume. Tout changement entraîne des complications.
Qu’il s’agisse d’un restaurant, d’un sommelier ou d’une propriété viticole de telle appellation, le plus important pour nous est de garder notre ligne directrice. Il nous faut expliquer notre démarche plutôt que de nous adapter aux retours de tel ou tel client, quel que soit son prestige. Nous restons bien évidemment ouverts aux remarques et retours que l’on pourra nous donner.
Comment les verres Sydonios vont-ils influencer les sens ?
De nouveau, il s’agit de ce duo « équilibre – finesse ». Lorsque vous prenez en main un verre de 70 g, dont la tige est de seulement 4,2 mm d’épaisseur, que le tout est hyper équilibré… Il se passe quelque chose. Vous savez d’avance que vous allez boire un grand vin.
C’est aussi une des clés de notre succès. Lorsque des clients arrivent dans un restaurant gastronomique et dégustent un grand vin avec nos verres, la surprise est au rendez-vous, tant par la qualité du repas, que par la qualité du verre, ou la découverte d’une marque de verre soufflé bouche encore confidentielle. Souvent, les clients se renseignent auprès du sommelier pour acheter des verre à la fin du repas.
Quel est votre rapport au temps ? Comment s’inscrit-il dans vos créations ?
Inévitablement, la production est dictée par le temps. Le processus de création d’un verre soufflé bouche passe par plusieurs phases. Pour l’épate de soufflage et de cueillage, trois verriers s’occupent de la partie chaude pendant plus de six minutes. S’en suivent sept heures de recuisson. Puis deux personnes se chargent de la découpe pendant cinq à six minutes.
Notre rapport au temps est davantage représenté par le cumul de travail des souffleurs et des responsables de la découpe. En fonction des modèles, jusqu’à six personnes peuvent intervenir sur la fabrication artisanale. Quand certains vous disent « c’est juste un verre », il faut prendre en compte tout le travail manuel qui est réalisé par nos équipes.
Après plusieurs années d’existence, nous avons désormais le luxe du temps. Notre entreprise est plus installée et viable. Nous disposons davantage de temps pour nos deux projets phares que sont la relocalisation de la production et la sortie de nouvelles créations.
Cela fait deux ans que nous travaillons activement sur l’ouverture de notre site de production. Nous n’avons aucun investisseur derrière nous. C’est un luxe qui nous permet de prendre notre temps et de faire les choses de manière cadrée et réfléchie. Cette période nous permet de rencontrer un maximum de personnes et d’aller partager un savoir-faire.
Concernant les nouveaux produits, nous allons lancer prochainement une carafe à magnum et un gobelet à eau. Là aussi, nous avons pris le temps pour dessiner et produire des pièces les plus parfaites possible. En comparaison, nous avions mis un an à créer nos premiers verres. Un timing plutôt rapide. Pour ces nouvelles créations, nous avons mis le double de temps, tout en avançant de façon plus sereine.
Texte – Geoffrey Chateau | Photo – Julien Gérard-Maizières et Sydonios